4 septembre 2006
Matadi
Le voyage prenait alors plus ou moins trois semaines. La même durée qu'aujourd'hui pour se rendre au Cap. Il fallait tout d'abord s'habituer au tangage, au roulis. Jusqu'alors, mon père n'avait jamais traversé que la Meuse d'une rive à l'autre sur une sorte de bac. Le passage dans le Golfe de Gascogne était réputé. Rares étaient les voyageurs qui prenaient le risque de manger. On portait le smoking dans les salons de première classe. Je ne sais pas ce que mon père portait. Il me disait souvent que le voyage était très lent. Puis, qu'au bout d'un long moment, on voyait surgir une montagne au milieu de la mer. Il faisait de grands gestes quand il racontait cela. Comme s'il voyait resurgir la montagne. C'était Ténérife. C'était une escale. Puis, il faisait de plus en plus chaud. Puis, un beau jour, on faisait un fête car on venait de passer l'équateur. Puis, cette nuit-là, on regardait le ciel. On se demandait si on n'avait pas un peu trop bu. La Grande Ourse n'était plus là. À sa place brillait une croix. Nyota. Et à côté de la Croix, une masse plus sombre que l'on appelle "le sac à charbon". Comme si même le ciel du sud devait rappeler leur passé aux mineurs. Tu vois, disait mon père, ce n'était plus le même ciel. Non, je ne voyais pas. Je l'écoutais me parler de la Voie lactée. Celle qu'on ne voit jamais dans la ville sans étoile qu'est Liège.
Quelles promesses, quelles images de paradis avaient donc pu pousser mon père jusque là? À quitter sa famille? Ce n'était tout de même pas ces cartes postales que tous les coloniaux d'alors possédaient et où l'on découvrait de jeunes nègresses nues, parfois scarifiées, promesses d'amours furtives et exotiques. Peut-être. Je ne sais pas. C'était surtout un salaire bien meilleur. Avec une maison, des meubles. La grande vie quoi. Assez pour patienter trois ans. Ou peut-être un peu plus (mon demi-frère naîtra à Léopoldville le 26 février 1931). Sortir la famille des corons. Quitter les bures. L'air enfumé de Seraing. Sinon faire fortune, au moins vivre en plein soleil. En pleine nature. Dans un pays, une dixième province lointaine où l'on construirait avenues somptueuses, maisons magnifiques et jardins de paradis.
Lorsque le bateau accosta au port de Matadi, voici la première image d'éden que mon père découvrit.
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